Apostasie

Dehors, par delà la vaste baie vitrée et son puissant champ de force, le chaos se répandait avec rage.
Non pas le Chaos, ce concept grandiose et Céleste, mais le petit chaos, celui de tous les jours.

Celui que, par exemple, peut répandre l'effondrement soudain des lignes impériales sous les assauts frénétiques d'une ruche Terrodône.
Surtout quand il s'agit de l'avant-dernière ligne de défense d'une cité de quelques douzaines de millions d'habitants.

La nuit était belle, illuminée par les déflagrations d'armes diverses, les tirs orbitaux faisant trembler les fondations de la puissante forteresse.
D'une oreille distraite, Shelban écoutait les rapports qui affluaient vers son père, prenant juste soin de noter l'estimation donnée par la cohorte Gamma, celle chargée de l'évacuer si tout cela dégénérait trop.
Il était vêtu d'un peignoir de soie verte, fasciné par le spectacle que lui donnait cette vue imprenable, au quatre-cent dix-septième étage.

Il se tapottait la lèvre inférieure d'un index, plongé dans ses pensées.
L'autre main était posée sur les cheveux d'une magnifique courtisane, droguée jusqu'à la moëlle, présentement agenouillée par-devant lui, travaillant dur pour mériter sa prochaine dose, à s'en décrocher la machoire.

Il resta ainsi, en silence, pendant plusieurs minutes, savourant la beauté terrible du carnage dont il était pour le moment préservé.

Soudain, un éclair d'inspiration vint enfin, il repoussa ce visage baigné de larmes et déglutissant d'une main presque douce, il murmura une phrase pour lui-même:
" Mozart, définitivement. "

D'un pas impérial, il se dirigea vers son piano et, alors que la colonie de Kymeria III agonisait, il se mit à jouer.

Bien des mois plus tard, dans un avant-poste impérial bien connu...

Enfin il y était, ce rêve qu'il faisait depuis des années allait enfin aboutir !
Qui aurait crû qu'il serait si facile d'entrer en contact avec les Déviants ? D'attirer leur attention ?
Ce monde était vraiment celui de toutes les possibilités !

Au début il avait fait quelques pas sur ce sol étrange, foulant du pied cette planète mystérieuse que l'avant-poste impérial souillait fort élégament, lui rappelant sous bien des aspects la comptine du vieillard vicelard et de la jeune pilote naïve...

Il avait pu goûter au sang des pathétiques Mutins des Collines à la peau verte, et il avait aussi pu courir en vidant son chargeur en aveugle par dessus son épaule, poursuivi par deux monstrueuses Terreurs des Roches.

Mais un contact avait été fait.

Et il était là maintenant, bien au chaud dans l'avant-poste impérial, en train de violer une jeune et adorable soldate sur la table d'une cantine désertée, tout en lui lacérant artistiquement le visage à grands coups de couteau.
Heureux.

Il était à vrai dire extrêmement surpris par l'absence de réactivité des forces de sécurité.

Tout d'abord, il y était allé subrepticement, en douceur, grimpant sur les toits pour amicalement vider son chargeur dans les reins du marines de faction, avant de le pousser au bas des murs.
Pour rigoler.

Ensuite il était allé faire un tour dans la bibliothèque, chez le commandeur qui lui avait même confié une mission !
De quelle maîtrise de soi il avait fait preuve en se retenant de rire...

Et puis, ensuite, ce pauvre marines qui venait d'être reconstitué par les soins des bons docteurs se vit offrir un brin de chirurgie esthétique.

Et à présent il se dressait là face à sa quatrième victime, Isidar...

La jeune femme était dans un état pathétique, ses vêtements en lambeaux, son corps saignant de plusieurs plaies.

Penchant la tête de côté, tout sourire, Shelban tournait autour d'elle.

Finalement, ce fut rapide.

Elle ne hurlait presque plus, à la fin.

Essuyant sa lame de fer et ayant satisfait celle de chair, il se tourna vers une paire de tourelles de défense avec un sourire malsain.

Il allait bientôt voir sa nouvelle maison, à n'en point douter.

" Misérables pourceaux de l'Empire ! A compter de ce jour, vous êtes mes catins, et je suis votre souteneur. "

Il avait été fort bien accueilli, en vérité.

La Déviance était aussi intéressante qu'on le lui avait promis, et il avait pu négocier cette "opération" dont il rêvait depuis toujours.
Le choix était bon.

De toutes manières, au vu de la qualité des troupes impériales qu'il avait pu étriller, le contrôle de l'Empire sur ce territoire était plus que théorique.

Adossé à un arbre, Shelban s'alluma une cigarette, jouissant de ses pseudopodes tout gluants et fraîchement implantés pour se donner des postures incongrues.
Vivement qu'une nouvelle femme tombe sous ses doigts...

Oblivion lui avait confié une mission, qui impliquait de tuer certains indigènes, dans les souffrances les plus indescriptibles possibles.
Quel homme charmant, ils allaient s'entendre à merveille.

D'un geste sec et précis, il mit fin à l'agonie de la créature velue qui traînait à ses pieds, lui tranchant le cou.